Projet de loi 61 - un éditorial de Rodolphe Parent

Je vous invite à lire et partager la publication de Rodolphe Parent suivante:


« Si vous vous intéressez à la politique, à l'écologie ou à la question contractuelle, merci de lire ce qui suit.


Le mercredi 3 juin, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec dépose le projet de loi 61 relatif à la relance économique du Québec. Trouvant les règles trop difficiles à suivre pour une relance efficace, le gouvernement propose dans ce projet de loi ni plus ni moins que de donner la capacité à l'exécutif de ne pas appliquer n'importe quelle loi du Québec qui ne l'arrange pas pendant les prochaines années, jusqu'aux prochaines élections, peut-on peut supposer.


J'ai lu un peu partout que c'est un projet omnibus, je crois que ce n'est pas exact et que c'est une mauvaise façon de le vendre. Le projet de loi est en vérité extrêmement court et ne fait qu'instaurer une loi. Le problème c'est que cette loi touche l'ensemble des lois du Québec sans préciser les modifications précises qui auront lieu. Aussi, je vous encourage à ne pas avoir peur de lire le Projet de loi 61, je vous encourage même à l'envoyer à toute personne qui s'intéresse à : l'état de droit, la corruption, le parlementarisme, la gestion d'un gouvernement comme une entreprise, la gestion contractuelle, l'environnement, les droits fondamentaux. 


Concrètement, pour l'ensemble des projets sélectionnés en annexe du projet de loi (et plus encore, nous y reviendrons), le gouvernement peut ne pas respecter les règles contractuelles, d'urbanisme, sur la protection de la nature, le Code civil, n'importe quelle loi pour la faire courte. Une entreprise n'a pas son autorisation de l'AMP ? Le gouvernement peut décréter que ce n'est pas nécessaire. Le projet est dans un milieu protégé ? Pas grave. 


Revenons sur la liste des projets : l'introduction du projet de loi spécifie que l'Assemblée nationale est consultée sur la liste des projets. Dans les faits, toute l'annexe du projet de loi est un bonus qui n'a pas beaucoup d'intérêt. Il faut retenir ceci : tous les projets que vous pouvez imaginer peuvent être dans la liste. L'article 3 précise que le gouvernement peut y faire rentrer ce qu'il veut : d'autres projets à lui qui respecte l'art. 15 de la Loi infra pub ("un projet d'infrastructure publique comprend un projet ayant pour objet le maintien, l'amélioration, le remplacement, l'ajout ou la démolition d'un immeuble ou d'un ouvrage de génie civil appartenant à un organisme public ou utilisé pour la prestation des services publics de l'État."), des projets municipaux  ou de tout autre organisme public, des projets faits par un tiers (donc vous) si vous justifiez que c'est pour l'autosuffisance médicale ou l'autonomie alimentaire. La seule chose qui est nécessaire est une discussion d'une heure sur le projet en commission parlementaire pour le rajouter à la liste.


Vous comprenez ici déjà que bien des projets pourraient être ajoutés à la liste (d'ailleurs je note que l'article 15 de la loi n'est pas nécessaire pour les villes et les autres organismes publics) et qu'on a juste à espérer que nos villes ne vendront pas leur salade.


Mais qu'est-ce que le gouvernement au fond se donne vraiment comme pouvoir pour aller à l'encontre des lois du Québec ? Pour le comprendre, il faut lire 3 articles. Le premier est l'article 31 qui fait en sorte que l'état d'urgence dure désormais Ad vitam ou jusqu'à ce que le gouvernement décrète sa fin. Il n'y a aucune mesure crépusculaire dans le projet de loi. Je suppose donc que cela va durer au moins jusqu'à la fin du présent mandat de la CAQ.


Or, pendant ce dit état d'urgence (qui, figurez-vous, semblait s'éloigner avec les bonnes nouvelles), l'article 36 prévoit que "Malgré toute disposition contraire, le gouvernement peut, afin de prévenir ou d'atténuer toute conséquence découlant de la pandémie de la COVID-19, prendre toute mesure qu'il estime nécessaire afin d'apporter tout aménagement à toute disposition d'une loi, autre que la présente loi ou d'un règlement, autre qu'un règlement pris en vertu de la présente loi, qui prévoit :"


Ce que ça veut dire concrètement : le gouvernement peut par décret modifier toute loi au Québec pour ses projets, sauf cette loi-là (le pl61). Sur quels critères ? Il peut donc changer la disposition d'une loi si cette dernière concerne : un permis ou une autorisation, un délai ou une date, le paiement d'une somme à l'État, une aide fournie par un organisme public (de toute nature), une règle trop compliquée ou coûteuse à appliquer en pandémie. Sans jouer les mauvais esprits, le dernier critère est clairement là pour être un laissez-passer. Qui va vérifier que c'est vraiment trop coûteux ? 


Ah oui, évidemment si vous n'êtes pas d'accord avec leur interprétation, il est clairement indiqué que dans un cas de décision de bonne foi, il est interdit d'attaquer le gouvernement (King can do no wrong, even in 2020). Par contre l'article 37 vous déconseille de ne pas suivre les règles arbitraires du gouvernement sous peine d'amende qu'il décidera par décret. Enfin, toute incompatibilité décelée entre une mesure de l'article 36 et la règle en vigueur est réglée par la préséance de l'article 36. 


Mais ce n'est pas tout! Allons un peu plus loin et regardons l'article 50 : 


Le gouvernement peut, par règlement et sur recommandation du Conseil du trésor, déterminer des conditions applicables en matière de contrats et de sous-contrats publics visés par les dispositions de la Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1), lesquelles peuvent être différentes de celles prévues par cette loi ou par l'un de ses règlements.


Le gouvernement peut également et de la même manière prévoir que les conditions qu'il édicte en vertu du premier alinéa s'appliquent en tout ou en partie à l'égard d'un ou de plusieurs organismes publics visés à l'article 4 de cette loi ou à l'égard d'un ensemble de tels contrats ou de telles sous-traitances, ou à certaines catégories de ceux-ci.


Concrètement : le gouvernement peut décider de ne pas respecter une partie ou toute la loi sur les contrats des organismes publics. 

Note : l'autorité des marchés publics doit faire respecter les dispositions de cette loi, on supposera que son autorité sera nulle lorsque, pour un projet, le gouvernement décidera de ne pas faire appliquer des dispositions. L'arbitraire ne peut être surveillé correctement...


Je n'ai pas parlé ici de la simplification du processus d'expropriation, mais j'espère pour vous que vous n'êtes pas sur le tracé de la ligne bleue. Je n'ai pas aussi suffisamment parlé de la question écologique, je laisse d'autres le faire pour moi. 


Il y a aussi d'autres articles à analyser plus en profondeur pour comprendre leur portée ou les changements qu'ils peuvent apporter à la bonne marche du gouvernement et à la capacité des citoyens de suivre (art. 49 par exemple). Il faudra aussi comprendre toutes les implications de donner à nos villes des pouvoirs d'expropriations similaires ou de ne pas respecter leurs règles contractuelles (et Dieu sait que c'est effrayant comme idée). 


La question n'est pas de se demander si le gouvernement est ou n'est pas de bonne foi en nous présentant ce projet de loi. En revanche, la question est sur la symbolique et la pratique. 


Symboliquement, le gouvernement abandonne ses propres règles. C'est donc la fin, objective, d'une partie de l'État de droit comme doctrine de l'état québécois. Deuxièmement, ce projet de loi met fin à la compréhension que nous avons du parlementarisme et des pouvoirs qui en découlent pour le gouvernement.


Dans la pratique, ce n'est pas plus rose. Les marchés de construction sont complètement en surchauffe, 300 millions se sont rajoutés à des projets de la STM dernièrement à cause de cettedite surchauffe. Il y a le REM aussi, des grands projets partout. Donc quand il va y avoir une explosion des projets, les petits galopins du crime organisé vont très rapidement comprendre que le gouvernement va supplier les entreprises de participer à ses projets qui ne vont probablement pas être en nombre suffisant pour tout faire. Par ailleurs, la capacité des organismes publics de faire sauter les règles se monnaye. Et même la bonne foi de tout gouvernement ne pourra empêcher des gens malhonnêtes de se faire un peu d'argent "on the side". Le grand taux de chômage va permettre au crime organisé de recruter très facilement n'importe qui qui veut retrouver facilement du travail, comme ce qu'annonce un article de The Economist.


On en arrive à la dernière question : qui va surveiller tout ça ? La réponse c'est personne. Personne à l'interne n'aura pour mandat direct de vérifier que ce n'est pas du gros n'importe quoi. La reddition de compte dans le projet de loi est en fait une publicité gouvernementale déguisée. En effet, elle prévoit un rapport avec deux choses : avancement du projet et retombées économiques. Autant vous dire : une pub.


Je conclus par deux choses : la première c'est que j'espère que tous les citoyens vont se rendre compte de ce qui se passe. Mercredi le projet de loi, jeudi des amendements, lundi et mardi des passages en commissions parlementaires, mercredi et jeudi une étude détaillée, vendredi une adoption. Les oppositions veulent des garanties ? Demander aux oppositions un vote clair. Votre député est caquiste ? Demandez-lui s'il a lu le PL et si une seule seconde il réfléchirait à donner ces pouvoirs à un autre gouvernement. La réponse honnête d'un démocrate sera non. Il devrait donc conclure sur ce qu'il doit faire tout seul. 


Deuxièmement, si tous les partis se prennent d'envie d'adopter un tel projet de loi, qui nécessite unanimité, que l'on ajoute des contrôles aussi massifs et disproportionnés que les pouvoirs que se donne l'État. Je veux dire par là : 


Qu'une commission soit chargée pendant deux ans avec des intellectuels, des vérificateurs, des experts, de suivre à la trace tout pas du gouvernement. 


Que l'Autorité des marchés publics soit envoyée en renfort avec des pouvoirs de résiliation exceptionnelle de contrat sur un coup de tête de sa part (elle ne pourra pas faire appliquer certaines dispositions de la loi, il lui faudra donc lui aussi un genre de pouvoir discrétionnaire).


Qu'une disposition crépusculaire soit mise en place : le taux de chômage tombe en dessous de 5%, les retombées économiques calculées sont de 15 milliards, etc. »

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